Durant ces dernières années Osons ! était informé par des salarié·e·s non titulaires des grosses collectivités du secteur, en particulier de la mairie de Saint-Malo, des conditions dans lesquelles ils et elles étaient employé·e·s. Ayant fait le tour des possibilités, les salarié·e·s se déchargeaient ainsi du poids qu’ils et elles avaient sur les épaules, mais demandaient le silence, la promesse de ne rien dire, de rien écrire, pour ne surtout pas risquer de remettre en cause des situations, en général, extrêmement précaires. Le jugement du 8 octobre 2021 nous permet, sans risque pour eux, de dénoncer le sort qui est fait à ces salarié·e·s.
En octobre dernier, la chambre régionale des comptes de Bretagne a donné suite à son rapport publié en septembre 2020 sur les comptes de la ville de Saint-Malo pour les années 2014 à 2018. Par jugement n°2021-0017 du 8 octobre 2021, le juge a condamné le comptable de la commune de Saint-Malo ( ‘le percepteur’) à rembourser 320 531,96 € à la ville de Saint-Malo . Il lui est reproché d’avoir payé, durant l’année 2018, les salaires de 110 agents vacataires de la ville sans disposer des pièces justificatives permettant de le faire : délibérations, contrats, modalités de recrutement et de rémunération, conditions d’emploi… (Les années antérieures ne sont pas évoquées, y a-t-il prescription ?).
Cette condamnation est rare, en 2020 un seul jugement a été prononcé par la chambre selon son rapport d’activité (page 12 et 13 ). Elle est lourde financièrement, puisque 11 fois supérieure au montant moyen des condamnations des années 2018 à 2020
Les contrôles sont normaux et nécessaires.
Pour beaucoup d’entre nous, les méandres de l’administration sont obscurs et peu intéressants, mais ce qu’il faut retenir, c’est que tous les paiements des collectivités doivent être accompagnés de pièces qui prouvent que la dépense est régulière.
Si un comptable public s’aventure à payer sans elles, il ne peut pas constater la régularité des dépenses. Dans ce cas, il est responsable personnellement et peut être condamné à rembourser ‘de sa poche’. C’est ce que le juge vient de rappeler. En matière de paiement de salaires les pièces justificatives attestent que les règles ont été respectées. La transparence des recrutements, l’égalité d’accès à l’emploi public, le respect du droit du travail, la réalité du poste de travail ne peuvent être contrôlés que si le contrat existe. Il doit être possible de vérifier les règles pour que les salariés ne plongent pas dans la précarité du fait de contrats absents ou illégaux.
Actualité et histoire du traitement du personnel non titulaire ou vacataire à Saint-Malo.
Le comptable est condamné mais le contrôle de la chambre régionale allait bien au-delà. Il pointait des aménagements avec la règlementation et une accentuation de la précarité
- Le recours à des emplois contractuels à la place des emplois permanents en augmentation de 37,4% entre 2014 et 2018
- des cas de délais insuffisants de publicité de recrutement qui empêchent des agents territoriaux de postuler,
- le renouvellement de contrat irréguliers 51 agents contractuels étaient concernés,
- le recrutement de 161 agents vacataires dont une partie n’avait pas de contrat règlementaire et l’autre était utilisée sur des emplois permanents…
La gestion du personnel non titulaire ou vacataire par la ville a déjà été commentée par la chambre. Ainsi, son rapport sur les années 2002 à 2005 indiquait :
« La moitié de ces non-titulaires étaient employés depuis plus de trois ans. Un recours aussi important excède les seuls besoins de remplacement des titulaires (9 % d’absentéisme) et répond donc à des besoins permanents pour lesquels les emplois correspondants, à temps complet ou non, auraient dû être créés par l’assemblée délibérante ». « Elle observe néanmoins que la rémunération sur une base horaire d’une majorité des agents non titulaires employés à plus de 50 % depuis plus de trois ans, fait courir des risques juridiques et financiers à la collectivité compte tenu des conditions de leur activité sur les emplois concernés : permanence du besoin (emploi fréquemment onze mois sur douze), taux d’emploi élevé, stabilité des agents sur les emplois concernés. De plus, la commune n’a pu produire les contrats de travail de cinq d’entre eux alors qu’ils sont employés depuis plus de trois ans et à plus de 80 % depuis 2005.»
C’est donc à une pratique récurrente et indépendante du comptable en place à laquelle le juge semble s’attaquer. Pour autant, les responsables élus et administratifs de la collectivité qui sont à l’origine du contournement du pouvoir de l’assemblée municipale, mais aussi de non-respect du droit du travail s’appliquant aux agents non titulaires ou vacataires seront-ils inquiétés ?
Par une application abracadabrantesque, la ville à l’origine du problème, qui a bénéficier des heures de travail effectuées devrait recevoir, selon cette condamnation, 320 531,96 € du comptable.
Le labyrinthe de la justice des comptes
Était-il possible à la chambre régionale des comptes de faire plus? Pour répondre à cette question nous avons consulté le recueil des normes professionnelles des chambres régionales des comptes.
Il indique que si des faits susceptibles d’aboutir à une qualification pénale ou une atteinte à la probité sont observés, ils sont obligatoirement formulés dans le rapport d’instruction des comptes. Il indique également, que pour aller plus loin la Cour de discipline budgétaire et financière ou les autorités judiciaires peuvent être saisies. En revanche, il ne s’agit que d’une possibilité pas d’une obligation. Ce que les juges de terrain ou les juges rapporteurs des dossiers signalent, d’autres juges sont chargés d’y donner suite et ils peuvent décider de ne pas l’utiliser, de ne rien faire. Le pire est que les citoyen·ne·s n’en sauront rien puisqu’il est prévu que les rapports ne mentionnent pas les éventuelles suites contentieuses.
Les preuves de la légèreté du dossier du Palais du Grand Large.
Le labyrinthe de la justice des comptes est si complexe que beaucoup pourraient se contenter de la mise en cause du comptable et de l’espoir d’un plus grand respect des droits des salarié·e·s. Mais comment être satisfait de l’impunité de ceux qui sont à l’origine des problèmes.
Le choix de la justice des comptes
Les faits énumérés par le rapport publié en septembre 2020 vont bien au-delà des questions de contrat de travail. Le dossier le plus important, celui qui constitue plus d’une page sur quatre, est la gestion du palais du grand large. La chambre y décrit et y dénonce (voir l’encadré) un mode de gestion irrégulier et évoque des sommes dont l’importance est telle que la condamnation du comptable public, citée plus haut, paraîtrait presque anecdotique s’il n’y avait derrière le sort d’hommes et de femmes précarisé·e·s.
Ces observations étayées, vérifiées, qui citent souvent les observations de contrôles antérieurs n’ont, apparemment, donné lieu à aucune décision de la Chambre Régionale.
La chambre régionale des comptes de Bretagne décrit un risque pénal, une transaction disproportionnée, le non-respect des obligations de publicité et de mise en concurrence, une gestion irrégulière, des doutes sur la qualification juridique des conventions…
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Bref tous les éléments sont réunis pour déclencher des suites à portée contentieuse. Le procureur financier a-t-il transmis le dossier ?
Nous n’en saurons rien, un an après la parution du rapport, peu feront le pari que le dossier, pourtant décrit depuis des années dans les rapports de la chambre régionale des comptes, survive compte tenu des caractéristiques et des acteurs de ce dossier. Mais là encore quelle vision peuvent avoir les citoyen·e·s d’une justice muette et qui n’instruit pas ?