En avril 2021, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) nous apprenait que du seul fait du ralentissement de l’activité (transport et industrie) pendant le premier confinement 3500 décès dus à la pollution de l’air ont été évités. En mai 2022, la revue The Lancet Planetary Health (Le monde ) nous expliquait que la pollution est responsable de 9 millions de morts chaque année dans le monde.
Ces alertes sont essentielles, mais c’est bien souvent à « l’étage du dessous » que les décisions sont prises et impactent notre quotidien, c’est à l’étage du dessous que les alertes ont le plus de mal à se faire entendre.
Le CODERST en quelques mots.
Le Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques (Coderst) fait partie de ces commissions administratives auxquelles le Préfet peut demander un avis sur « les domaines de la protection de l’environnement, de la gestion durable des ressources naturelles et de la prévention des risques sanitaires et technologiques. »Le CODERST est présidé par le Préfet et composé de
6 représentants des services de l’État, de 5 représentants les collectivités territoriales, de 3 représentants les associations agréées : (protection, environnement, consommateurs, pêche), 3 représentants les professions concernées (agriculture, industrie…), 3 experts (architecte, ingénieur hygiène et sécurité), 4 personnes qualifiées (dont au moins un médecin).
Un avis, mais pas plus
Un avis, mais pas plus, car depuis sa création (2006), les pouvoirs de ce Conseil ont été supprimés un à un, les derniers par le gouvernement Hollande en janvier 2017. Concrètement, les avis ne sont pas contraignants, le préfet fait ce qu’il veut et le juge considère que les avis du CODERST sont sans effets juridiques. Dans ces conditions, peu nombreux sont ceux qui s’y intéressent.
Ses comptes rendus constituent cependant un bon indicateur de la façon dont sont traités localement les dossiers environnementaux. D’autant qu’en Ille-et-Vilaine, deux hauts cadres de la Timac sont membres du CODERST. Le premier y représente la Chambre de Commerce et de l’Industrie, le second, l’Union des entreprises 35 (depuis le dernier renouvellement, il siège en tant que personne qualifiée).
Curieux, nous avons donc demandé aux services de l’État de nous fournir le compte rendu de la séance du Coderst du 20 avril 2021 durant laquelle les modifications des arrêtés d’exploitation de la Timac pour les usines de Saint-Malo étaient examinées. Il est ici
Des pratiques hallucinantes
Logiquement et afin de prévenir les difficultés, le règlement du Coderst prévoit des mesures particulières pour les personnes intéressées à une décision. Il y est inscrit : « Un membre du conseil ne peut prendre part aux délibérations ayant pour objet une affaire à laquelle il a un intérêt personnel. »
Étrange choix de rédaction pour un organisme créé par un État dont la justice utilise une définition du conflit d’intérêts qui semble plus adaptée : « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». (art 2 lois n° 2013-907 du 11 octobre 2013) .
Le 20 avril 2021, lors de l’examen des dossiers concernant la Timac, l’application du règlement du Coderst, même mal rédigé, devait conduire les personnes en situation potentielle de conflit d’intérêts à se retirer des débats et à ne pas participer aux votes. Le compte rendu de cette réunion indique que les cadres de la Timac ont participé directement aux débats et indirectement aux votes en donnant chacun un mandat de vote à d’autres membres du conseil.
Apparemment, cela ne choque personne dans ce Conseil, pas même son président.
Des mandats exotiques
Situation étonnante, mais qui se double de plus étonnant, voire d’exotique.
Le premier mandat de vote est donné à un fonctionnaire qui représente une administration, la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations. Or ce dernier, qui n’est absolument pas en cause, n’est présent que pour représenter son administration. Par quel biais juridique un fonctionnaire dans cette situation peut-il recevoir un mandat à titre personnel ? Mystère.
Le second mandat est donné au président d’Air-Breizh, organisme agréé par le ministère chargé de l’Environnement pour la surveillance de la qualité de l’air en Bretagne. La particularité de ce second mandat est que la définition du conflit d’intérêts s’applique également au Président d’Air-Breizh. En effet, la Timac était membre d’Air Breizh et présentée comme telle jusqu’au 14 février 2024**, et client d’Air-Breizh.
Unanimité et inutilité
Ce n’est pas un secret, en 2021, lors de la révision de l’autorisation d’exploiter de la Timac, Osons ! voulait à minima que la surveillance du cadmium dans les rejets d’eaux soit imposée.
Les eaux de la Timac sont partiellement rejetées dans les réseaux du port ou du Routhouan sans obligation de surveillance du cadmium. Pourtant, Saint-Malo est le seul port, de Bretagne et des Pays de Loire, pollué au cadmium, les matières premières phosphatées en provenance du Maghreb en sont chargées, de même que les engrais phosphatés qui sont d’ailleurs l’objet de nouvelles règles européennes pour réduire leur teneur en cadmium.
Lors du Coderst du 20 avril 2021 personne n’a proposé et défendu la surveillance du cadmium dans l’eau rejetée. C’est à l’unanimité que les représentants de l’État, des élus, des professions et des associations ont voté à favorablement sur le dossier de la Timac. Ni les conditions de cette décision, ni leur parfaite connaissance des études de l’INERIS et des parutions de Lancet n’ont troublé la fanfare des experts.
Pas une fausse note, la face est sauve, le CODERST a dit oui, les mêmes acteurs se retrouveront bientôt dans un autre conseil, une autre commission, aussi unanime qu’inutile…
Quelques mois après cette réunion, 41 médecins de Saint-Malo alertaient sur la mortalité et s’interrogeaient sur le cadmium présent dans le port dans le cadre de l’expertise judiciaire en cours sur l’activité de la Timac.
Vive l’unanimité !
* Le 12 février 2024, nous avons appris que Timac Agro est membre d’Air Breizh et non membre de son conseil d’administration comme nous l’avions écrit dans un premier temps (signaler par Air Breizh).
* * Le 14 février 2024, nous avons appris que le nom de Timac Agro avait été ôté de la liste des membres d’Air Breizh . L’organisme nous signalant que “Après vérification en interne, il apparaît que Timac n’ a pas versé de cotisation à Air Breizh depuis plusieurs années et n’est plus à jour de ses cotisations. Par conséquent, cette entreprise perd son statut de membre d’Air Breizh. Le site web est mis à jour.”