Une partie de l’art de l’illusionnisme, anciennement appelé escamotage, consiste à simuler momentanément la disparition d’une chose pour la faire réapparaitre plus tard et parfois la démultiplier.
Une délibération du conseil municipal de Saint-Malo, prise le 4 novembre 2025, propose de modifier le PLU pour interdire la construction de nouveaux logements destinés à des résidences secondaires dans certains secteurs de la ville. La communication de la mairie est importante sur le sujet, sur le mode « Nous agissons pour privilégier l’accès au logement en limitant la place des résidences secondaires. ». C’est une illusion, un leurre. Décryptons la situation.
Le contexte.
Entre 2006 et 2022, les résidences secondaires ont augmenté en moyenne de 234 unités par an, contre 128 pour les résidences principales. La pire période a été 2006 / 2014, durant celle-ci, les résidences secondaires (+213, en moyenne annuelle) ont augmenté 10 fois plus vite que les résidences principales (+20/an). À l’époque, le maire actuel était déjà en bonne place dans un exécutif municipal amorphe sur cette question. Pourtant, la multiplication des résidences secondaires fait concurrence à d’autres types de logements. Elle contribue à l’augmentation du prix de l’immobilier, aux inégalités d’accès au logement, à la concurrence foncière dans la ville. Elle a également pour conséquence l’étalement urbain et la consommation de ressources pour la construction, …
Les données de l’INSEE illustrent cette inégalité, par exemple sur la période 2006/2022, le nombre de logements HLM loués n’a augmenté que de 23 unités (1.4 par an), entraînant une perte de 16% du nombre de personnes locataires en HLM (-2000). Parallèlement, le nombre de résidences secondaires a augmenté de 3744 unités.
Osons ! n’a pas cessé d’expliquer cette situation
Il est notable de retrouver une grande partie des constats sur le logement dans les documents de présentation du PLU approuvé le 4 novembre 2025. En revanche, la prise en compte d’éléments, comme l’origine socioprofessionnelle des habitants (voir l’illustration ci-dessus) ou des marqueurs sociaux forts n’ont pas la même visibilité dans les documents. Par exemple, le nombre de familles monoparentales, dont 35% vivent sous le seuil de pauvreté, a augmenté de 30% en France entre 2006 et 2022, il a diminué de 14% à Saint-Malo pendant la même période. Comment ne pas faire de lien avec l’accès au logement ?
La réalité
La création de nouvelles résidences secondaires à Saint-Malo repose à 90% sur la transformation des résidences principales existantes, 700 par an. La construction neuve de résidences secondaires est dix fois moins importante. Rien que pour cette raison, cette mesure d’interdiction ne concerne qu’une minorité de projets. Mais, en plus,
- seule une faible partie du territoire est concernée par l’interdiction, celle des secteurs d’orientations et d’aménagement et de programmation du nouveau PLU.
- Les fichiers IRIS de l’INSEE montrent que les 7 quartiers (sur 21) qui étaient les plus pourvus en résidences secondaires en 2006 sont les mêmes en 2022. Ces 7 quartiers représentent plus de 60% des résidences secondaires créées dans cette période. La localisation préférentielle des résidences secondaires est basée sur quelques critères, la proximité immédiate de la mer et les secteurs traditionnels centres et balnéaire. En général, ils ne correspondent pas aux secteurs concernés par la servitude de résidence secondaire, et, pour y accéder, le niveau d’investissement nécessaire n’est pas un frein.
En réalité, cette interdiction ne gênera qu’une minorité de projets qui auront la possibilité de se placer dans les secteurs hors servitude.
En conclusion
Sur le rythme relevé par l’INSEE entre 2006 et 2022, 1 logement sur trois sera un logement secondaire en 2037 à Saint-Malo.
Le marché malouin de la résidence secondaire ne va pas être modifié par cette mesure. Il peut même contribuer à alimenter la pression immobilière dans les secteurs non concernés et les rendre encore plus inaccessible. La cible affichée est l’accès à la ville en freinant la réalisation de résidences secondaires neuves, cette mesure, dont l’efficacité reste à prouver, doit concerner l’ensemble du territoire sous peine d’être contournée par les plus riches. À elle seule, cette mesure ne suffira pas pour enrayer la tendance qui repose essentiellement la transformation des logements existants en résidences secondaires. Une action de la collectivité sur le marché immobilier est indispensable.
L’interdiction de construire des résidences secondaires neuves est inscrite dans le code de l’urbanisme depuis novembre 2024. En 2020, le maire actuel s’est fait élire sur une ‘illusion’. Il allait faire baisser l’emprise du béton et de ses promoteurs, contrairement à son prédécesseur. À quelques mois de l’élection municipale de 2023, l’enquête publique sur le projet de PLU largement contesté, lui a montré que « l’illusion » avait vécu.
Mettre en place cette mesure cosmétique lui permet de délivrer un message simple, mais faux, « nous luttons contre l’emprise des résidences secondaires ».
Nota, les chiffres sont ceux communiqués par la mairie ou ceux des fichiers IRIS de l’INSEE